Un petit air de Révolution…
Les documents privés sur la Révolution Française en province
sont rares : dans ces temps si troublés, bien peu de personnes jouissaient
d’assez de tranquillité d’esprit pour se rendre compte des événements
journaliers et surtout n’avaient pas l’idée de livrer au papier des impressions
destinées à leur survivre un jour et à jeter quelque lumière sur le présent d’alors
devenu le passé pour nous.
C’est pourquoi dans ce nouvel article j’ai décidé de vous
parler de l’un de nos ancêtre, le Conseiller Bicherel, et plus particulièrement
de son livre de raison (aujourd’hui nous pourrions appeler cela un journal
intime). Ce manuscrit existe toujours, il n’est plus dans la famille Bicherel
mais il appartient désormais au Musée de Lisieux, où il est toujours conservé
actuellement.
Un mot sur l’auteur, Maître Jean-Pierre Bicherel, fut
Conseiller du Roi et son auditeur en la Cour des comptes, aides et finances de
Normandie. Cette cour correspond à l’Echiquier de Normandie, autrement dit, l’ancien
Parlement du Duché actuellement le palais de Justice de Rouen.
C’est à Pont-l’Évêque, en la chapelle des dames religieuses
de cette ville, le 18 Septembre 1742, que fut célébré le mariage du Conseiller
Bicherel avec Marie-Louise Catherine POUCHIN des TAILLIS, il avait 25 ans, elle
avait 10 ans de moins que lui, leur union devait se prolonger longtemps et ils
assisteraient ensemble à l’avènement du XIXème siècle.
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Extrait du Ouest-France 1996 - Vente aux enchères de Deauville |
Marie-Louise Pouchin des Taillis était la fille de Maître
Jean-Pierre Pouchin, sieur du Taillis, Conseiller du Roi, auditeur en la Cour
des comptes de Normandie et de Noble Dame Marie-Catherine du Mesnil (famille
dont nous aurons l’occasion de reparler puisque nous descendons également de
cette branche au XVIIème siècle).
Jean-Pierre Bicherel et sa femme habitaient tantôt Rouen où
Jean-Pierre était appelé par ses fonctions judiciaires, tantôt à Pont-l’Evêque
où ils possédaient une maison, tantôt enfin sur la terre des Enclos à
Bénerville que le Conseiller Bicherel avait reçue de ses ancêtres.
C’est aux Enclos, propriété voisine de la mer, mais
préservée des vents du nord par la colline du Mont-Canisy à laquelle elle se
trouve adossée vers le sud, que Jean-Pierre et son épouse passèrent leurs
dernières années.
Revenons sur notre manuscrit, il se présente en un petit
registre recouvert de parchemin renfermant 76 feuilles de papier. Le registre
va du 1er janvier 1795 au 19 mai de l’année 1801.
Je ne vous retranscrirais pas l’intégralité du Livre de
Raison, mais quelques petits extraits.
« Mercredi 22 Juin 1795, il court un bruit qu’une bande
de chouans s’est aussi répandue dans ce pays, dont le noyau paraît se
concentrer vers la forêt ; un des leurs, dit-on, a déjà été tué depuis peu
de jours. »
« Mardi 18 Octobre 1795, un saumon pesant 13 livres ½ a été acheté hier pour nous à la poissonnerie
de Pont-l’Évêque par notre domestique Courtois, la somme de 10 livres 5 sols à
raison de 16 sols la livre, dont nous envoyons la moitié à Monsieur Le Pecq de
La Closture, docteur en médecine à St Pierre Azif, docteur Régent et Professeur
royal de chirurgie en la faculté de Médecine de Caen, en l’invitant à dîner
demain aux Enclos avec toute sa famille. »
« Samedi 24 Août 1799, à la veille de la fête de ma
femme, nos voisins du Bouillonney, Le Pecq et Bornainville de Beaumont se sont
réunis pour venir diner aujourd’hui chez nous au nombre de 19 sans y être
invités, apportant chacun leur bouquet en fleurs et subsistances ; celles
du Bouillonney étoient des anguilles, celles des Le Pecq plusieurs bouteilles
de vin de champagne, celles de M et dames Huline, officier dans les colonnes
mobiles, logés chez nous, poisson, fleurs et gâteaux surmonté d’un très beau
ruban à fond vert à fleurs couleur d’aurore qui a été reconnu pour être très
beau. M l’abbé Mutrel y étoit aussi avec Mme Le Bon, tante de Mme Le Pecq et
une petite dame de ses amis, Mme et Melle de St Vaast, et Melle de Paix de Cœur,
sa nièce. »
Comme on peut le voir d’après ces courts extraits, ce cher Conseiller
Bicherel aimait les repas et la bonne chair ! Je comprends mieux
maintenant mes côtés gourmands :p